Un article des Echos paru cet été a révélé les surprenants résultats d’une expérience CV anonyme conduite auprès d’un millier d’entreprises.
Rappelons d’abord que cette idée était censée lutter contre la discrimination à l’embauche dont souffrent les populations issues de l’immigration (alias « les minorités visibles »).
Ce que révèle donc cette expérience, c’est que loin de résorber la discrimination, elle l’aggrave ! Pour citer l’article :
Par contre, il a tendance à diminuer les chances des candidats issus de l’immigration, avec une chance sur 22 seulement de décrocher un entretien, contre une chance sur 10 lorsque le CV n’est pas anonyme !
L’explication donnée par les chercheurs ayant piloté l’expérience est que « l’anonymisation empêcherait de relativiser des signaux jugés défavorables, comme un diplôme moins prestigieux ».
Je l’ai vérifié en tant qu’employeur. Durant mon dernier emploi salarié, j’avais fait appel à un cabinet de recrutement pour un poste en marketing. J’eus la désagréable surprise de recevoir des CV de personnes dont je ne savais ni le nom, ni la photo ni l’âge, ni le lieu de résidence. Rien que le parcours scolaire, l’expérience professionnelle, les langues, l’informatique et les loisirs.
Le cabinet adhérait en effet à je ne sais quelle charte de bonne conduite. Pour moi, c’est là que j’ai compris que c’était une fausse bonne idée, une mauvaise idée. D’abord, je savais d’expérience qu’une équipe variée au plan du sexe, des origines, des parcours, etc. était plus difficile à organiser mais, une fois le défi relevé, elle était plus performante qu’une équipe homogène (ce que confortent des études).
Je souhaitais faire un recrutement « cosmopolite » car mon équipe ne l’était pas assez. Avec des CVs anonymes, pas moyen de donner sa chance à des candidats différents. Du coup, je me suis rabattu sur le connu (diplômes, etc.) où ils ont généralement le dessous parce que leur parcours est par trop jalonné d’obstacles par comparaison avec des populations « standard ». J’ai ainsi recruté un bon élément mais… un ressortissant d’une école de commerce au parcours on ne peut plus classique !
Autre chose. On travaille pas avec des compétences mais avec des personnes douées de compétences. On passe plus de temps avec ses collègues qu’avec sa famille ou ses amis. Qu’on le veuille ou non, l’intuitu personae (ou feeling ou « tête du client ») joue, et c’est normal. Cela ne me ferais pas plaisir, mais j’accepterais tout à fait que l’on me dise que l’on ne veut pas travailler avec moi en raison d’une incompatibilité d’humeur.
Bien entendu, il y a loin de l’intuitu personae à la discrimination ; mais s’il y a sans doute des choses à faire en entreprise sur ce point, celle-ci n’en fait partie : au mieux elle diffère le problème dans le temps, au pire elle l’aggrave, et c’est semble-t-il le cas.